la chance, c’est quand, en descendant Western
Avenue
et passant devant les filles du salon de
massage,
l’une d’elle te lance un « hello, beau gosse »
retentissant;
le miracle, c’est quand à l’âge de 55 ans,
cinq femmes sont amoureuses de toi,
et la bonté divine, c’est quand tu es encore
capable
d’en rendre une heureuse.
le bonheur, c’est quand ta fille est plus douce
que toi, et que son rire est plus frais
que le tien.
la paix de l’âme, c’est quand tu conduis
ta Volkswagen bleue à travers les rues comme
un teenager et que la radio gueule The Host Who Loves You Most,
baigné par le soleil et la bourdonnement
régulier
du moteur refait à neuf,
et que tu te faufiles dans la circulation.
la grâce, c’est quand tu peux aimer à la fois le
rock,
le classique, le jazz,
tout ce qui charrie la force vitale
de la joie.
mais en réalité ce qui t’attend
c’est le cafard
c’est la solitude,
enfermé entre quatre murs-guillotines,
et que tu es fou de rage quand le téléphone
sonne
ou quand quelqu’un passe;
mais il se peut aussi
– comme le soleil vient après la pluie –
que la caissière du supermarché ressemble
à Marilyn
ou à Jackie avant qu’on lui tue son homme
ou à la lycéenne que nous avons tous suivie
au moins une fois.
il y a ce qui vous aide à croire
que la mort n’est pas tout :
dans une rue très étroite,
quelqu’un roule vers toi et
te laisse le passage,
ou quand le vieux boxeur Beau Jack,
qui est devenu cireur de chaussures
après avoir claqué tout son fric
en bringue
avec des femmes
et des parasites,
souffle et crache sur le cuir,
le fait briller,
te regarde et dit :
» quand je pense que j’ai été au
sommet, mais je m’en moque, et puis
tout le monde ne peut pas en dire autant. »
il m’arrive d’être amer quelquefois
mais le goût de la vie
tout bien pesé
est sacrément bon. j’ai toujours eu
peur de l’avouer. c’est comme quand
une femme te demande :
« dis-moi que tu m’aimes! », et
que ça ne vient pas.
lorsque tu me verras grimacer un sourire
au volant de ma Volkswagen bleue
dans la lumière jaune du couchant
et roulant vers le soleil
c’est que la vie m’aura pris
dans ses bras
avec son cortège de trapézistes
avec ses nains fumant de gros cigares
avec un de ces hivers russes des années 40
avec Chopin et sa poignée de terre de Pologne
avec une vieille serveuse qui m’apporte une
autre
tasse de café et qui rit en
le faisant.
les meilleurs d’entre vous,
je n’en ai pas l’air mais je les aime.
les autres ne comptent pas
à part qu’ils ont des têtes et des jambes
ou bien des yeux
ou bien encore des mains
ou bien enfin
des bons ou des mauvais rêves
et qu’ils savent où ils vont.
la justice est partout et elle fonctionne, comme
l’enseignent
les mitraillettes et les grenouilles
et
les paris sur les chevaux.
Charles Bukowski,
« L’Amour est un chien de l’enfer »
1974-1977
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire