John Stanmeyer
Ed Kashi
« Ainsi, ce jour-là fut celui de la grande ouverture. Oubliant les images de pacotille qui, du reste, disparurent, cessant de lutter, je me laissai traverser par le fluide qui, pénétrant par le sillon, paraissait venir du bout du monde. Moi-même j’étais torrent, j’étais noyé, j’étais navigation. Ma salle de la constitution, ma salle des ambassadeurs, ma salle des cadeaux et des échanges où je fais entrer l’étranger pour un premier examen, j’avais perdu toutes mes salles avec mes serviteurs. J’étais seul, tumultueusement secoué comme un fil crasseux dans une lessive énergique. Je brillais, je me brisais, je criais jusqu’au bout du monde. Je frissonnais. Mon frissonnement était un aboiement. J’avançais, je dévalais, je plongeais dans la transparence, je vivais cristallinement.
Parfois un escalier de verre, un escalier en échelle de Jacob, un escalier de plus de marches que je n’en pourrais gravir en trois vies entières, un escalier aux dix millions de degrés, un escalier sans paliers, un escalier jusqu’au ciel, l’entreprise la plus formidable, la plus insensée depuis la tour de Babel, montait dans l’absolu. Tout à coup, je ne le voyais plus. L’escalier qui allait jusqu’au ciel avait disparu comme bulles de champagne, et je continuais ma navigation précipitée, luttant pour ne pas rouler, luttant contre des succions et des tiraillements, contre des infiniment petits qui tressautaient, contre des toiles tendues et des pattes arquées.
Par moments, des milliers de petites tiges ambulacraires d’une astérie gigantesque se fixaient sur moi si intimement que je ne pouvais savoir si c’était elle qui devenait moi, ou moi qui étais devenu elle. Je me serrais, je me rendais étanche et contracté, mais tout ce qui se contracte ici promptement doit se relâcher, l’ennemi même se dissout comme sel dans l’eau, et de nouveau j’étais navigation, navigation avant tout, brillant d’un feu pur et blanc, répondant à mille cascades, à fosses écumantes et à ravinements virevoltants, qui me pliaient et me plissaient au passage. Qui coule ne peut habiter.
Le ruissellement qui, en ce jour extraordinaire, passa par moi était quelque chose de si immense, inoubliable, unique que je pensais, que je ne cessais de penser : « Une montagne malgré son inintelligence, une montagne avec ses cascades, ses ravins, ses pentes de ruissellement serait dans l’état où je me trouve, plus capable de me comprendre qu’un homme… »
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